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Lætitia Paviani et Hendrik Hegray —

Bon sang Hendrik !

Lætitia Paviani et
Hendrik Hegray discutent de deux ou trois trucs et de Treize.

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« Et qui jamais vit s’accoupler des grenouilles ni trépasser un éléphant ? Certaines circonstances climatiques, certaines conjonctures, morales, politiques, historiques, peuvent fort bien engendrer des sauterelles rouges ou des bêtes noires comme celles dont nos pères ont connu la caresse. »
Jacques AUDIBERTI, L’Ampélour, 1937

Lætitia Paviani : Ça va la santé ?
Hendrik Hegray : mon père me pose cette question parfois au téléphone. en général, je mens. on va dire que je navigue à vue.
(…)
Nelson : Maman, il a pas enlevé ses chaussures Hendrik !!!
(…)
Lætitia Paviani : Et qu’est-ce c’est que cette manie de ne pas mettre de majuscules ? Tu peux t’expliquer ?
Hendrik Hegray : a/ je me suis dit (naïvement) que tu allais corriger. b/ je n’en mets jamais effectivement, uniquement aux noms propres parce que je ne suis pas un sagouin. ça me fait économiser un temps fou.
Lætitia Paviani : Bon sang, Hendrik ! Allez, parle nous de ton corps.
Hendrik Hegray : Hélà… euh, si tu y tiens. 1,75m, yeux bleus, cheveux châtains foncés, de plus en plus de cheveux blancs sur les tempes (le stress accélère je pense), quelques cicatrices au visage (un coq, un vélo, une altercation au Point Éphémère), une touffe de poils disparate et un peu disgracieuse en haut du dos, quelques-uns qui gravitent sur les épaules, une tripotée de boutons agrémentant ce petit ensemble, une implantation torsale dont je suis fier en revanche, un os de la main droite cassé et mal ressoudé, myopie négligée, mauvaise haleine à l’occasion.
Lætitia Paviani : Très bien, très bien, alors, cette santé, la nôtre (Treize), la tienne. Nous sommes un organisme, tu es un être vivant — un artiste, qui plus est — et nous buvons tous pas mal. Quelques-uns se sont arrêtés de fumer. Cependant, au-delà de la question physique, pour ce qui est de l’artistique, de l’intellectuel, peut-on dire que nous fonctionnons harmonieusement, régulièrement, indépendamment d’anomalies ou d’infirmités dont nous pourrions être affectés…? Est-ce qu’on peut parler de bonne santé artistique, intellectuelle, éditoriale, etc. ?
Hendrik Hegray : Ça me rappelle que j’avais fait un excellent concert il y a deux ou trois hivers, j’étais assez malade ce soir-là, j’avais bu pas mal de whisky pour me ravigoter. Je suis monté sur scène assez ivre et il s’est produit quelque chose d’un peu puissant ; j’ai joué comme qui dirait en état de grâce. La soirée s’est plutôt mal finie ; j’ai perdu la moitié de mon matériel en sortant du taxi pour rentrer chez la personne qui m’hébergeait ce soir-là. Un ami m’a chaleureusement félicité pour cette performance. Je me suis entendu parler d’énergie du désespoir. J’étais assez déprimé à cette période, je crois. C’est toujours intéressant le fonctionnement d’une entreprise aussi fragile, peu (ou pas) subventionnée, comme Treize, ou, de mon côté, Nazi Knife, False Flag, ou des micro-labels indépendants, à diverses échelles, parce qu’il y a toujours un peu l’idée de résistance à un système économique, à un formatage des pratiques, à un confort de pensée. Ça ne garantit pas une teneur d’excellence ou d’intégrité mais ça aide à rester éveillé et donc oui, c’est sain.
Lætitia Paviani : Pascaline me disait l’autre jour quelque chose de similaire à propos de Treize, proche du biologique, mais pas vraiment, plutôt de l’ordre du climatique. Elle parlait de mouvements irréguliers et sporadiques, tout de même sensibles, d’une évolution attentive aux contingences extérieures. Ce qui était marrant, maintenant que j’y pense, c’est qu’on discutait de ça à l’extérieur de Treize où il y avait encore cette exposition de Fanny sur les aquarelles météorologiques d’André des Gachons, un peintre du début du XXe siècle qui a travaillé pour le bureau central de météorologie. C’est le genre de choses qu’on peut aussi voir à Treize ; on n’y fait pas que de l’art contemporain, des concerts de noise ou des lancements de revue. Ce que Pascaline évoquait, c’est que nous évoluons effectivement sur une scène locale ou nationale sans pour autant exprimer la volonté de s’y arrimer trop fermement. On navigue à vue aussi d’une certaine manière. Je me demande si elle n’a pas utilisé la même expression, « naviguer à vue », un réel positionnement, d’après elle, pour un lieu indépendant comme Treize, dans l’idée de se donner la liberté de construire une programmation qui intègre des phénomènes de perturbation, ou en tout cas, qui refuserait de se construire dans une continuité, de répondre à des enjeux d’efficacité et de communication, un peu comme ta santé, tes concerts…