Marcelline Delbecq. Wonder, 2009. Tirage numérique pigmentaire sur papier Archival, 27 x 39 cm.
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Marcelline Delbecq et Béatrice Gross —

Du Silence plateau
au Silence trompeur

Paroles de l’artiste Marcelline Delbecq avec
la commissaire d’exposition Béatrice Gross, autour de sa mise à distance du format exposition,
de son rapport à l’écriture et à la photographie.

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Béatrice Gross : Revenons sur Silence Trompeur, ton ultime exposition. Tu la revendiques comme telle (il te fallait l’annoncer, peut-être lutter là contre un silence qui aurait été trop trompeur ?), te frayant un nouveau chemin – ou plutôt approfondissant un chemin de traverse qui est le tien depuis longtemps – vers une œuvre à la fois plus vivante et plus dématérialisée (relativement parlant). Tu ne quittes pas la création, au contraire ; et ton écriture et la photographie (la tienne ? Celle des autres ?) continuent de trouver corps ici de manière pérenne, au sein de publications, là de manière plus éphémère dans des évènements…Tu es donc convaincue que le format (esthétique, pratique, économique, politique) de monstration qu’est l’exposition ne te convient pas, ne te convient plus ? Est-ce là un rejet en masse et définitif ?
Marcelline Delbecq : Effectivement le format de l’exposition ne me convient plus, du moins c’est ce que je pense intimement, même si l’on tente de m’en dissuader. Il y a plusieurs raisons à mon envie de ne plus faire d’exposition. Je pense que la plus fondamentale est celle de ne pas fixer les choses, de ne pas les figer, car même si une exposition n’est jamais tout à fait pérenne, elle a tendance à figer les œuvres et je suis plutôt à la recherche de formes de vie, de fugacité, d’échanges, pas d’un face à face statique entre le spectateur et l’œuvre. J’ai besoin que ce que je convoque et provoque entraine une forme de mouvement, que cela soit celui de la pensée ou celui du corps, du regard, de l’ouïe, que les choses se meuvent même si, bien entendu, on demande toujours au spectateur d’être statique à un moment donné de l’échange, que ce soit dans une exposition ou dans un spectacle, lors d’une projection ou d’une lecture.

Je me suis aussi lassée du format exposition en tant que spectatrice. De m’en éloigner est une manière de me donner envie d’y retourner, toujours en tant que spectatrice. D’ailleurs c’est assez drôle car la directrice d’un centre d’art vient de me commander un texte sur une exposition à la rentrée, texte qui sera écrit sans avoir vu ni les œuvres ni l’exposition. J’ai également traduit un ensemble de textes sur quatre expositions d’un curateur américain. Donc que je le veuille ou non, l’exposition continue de m’attirer dans ses filets, mais à présent d’une manière décalée, parallèle.

Écrire sur des œuvres sans les avoir vues ? Pour la critique conventionnelle, probablement la pire façon d’aborder une œuvre ou une exposition ! Mais plus sérieusement, je voulais justement te poser la question de ton rapport au discours critique – en général, et dans ta propre pratique. Existe-t il une différence de nature ou de degré entre tes pièces d’écriture autonomes, souvent traversées de références à d’autres œuvres ou artistes –  et tes textes plus ouvertement et directement consacrés à une œuvre ou un(e) artiste ? Y vois-tu une continuité essentielle ou y a-t il une distinction claire de statut ?
C’est une question très intéressante. A vrai dire je ne me pose pas la question d’une écriture possiblement critique, mais d’une écriture qui aborde les œuvres comme un champ littéraire à explorer. Depuis 2009, je collabore à intervalles irréguliers avec la revue de cinéma Trafic. Chaque fois qu’ils me commandent un texte, Raymond Bellour et Patrice Rollet qui la dirigent me disent : « Surtout Marcelline ne vous sentez pas obligée d’écrire comme une critique. Votre plume est autre, laissez-la agir en tant que telle. » C’est cette liberté qui est formidable dans l’écriture, car personne ne m’oblige à formuler un discours critique lorsque je parle d’une œuvre, qu’elle soit une photographie, un film, une installation etc… Je l’aborde à ma manière, souvent en commençant par la décrire et en l’amenant dans un espace-temps qui ne lui appartient plus. Sans pour autant chercher à énoncer une quelconque vérité en ce qui la concerne. Il s’agit d’une continuité essentielle, bien que les textes au final puissent être de natures assez différentes. Le travail de départ est toujours le même.

Avec cette décision de ne plus produire d’exposition et de tirages photographiques, quelle est ta position quant à tes œuvres-objets existants ?