Diseuse,
portrait de Valeska Gert par un photographe inconnu, 1919.
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GROUPE DE TRAVAIL N°2 —

L.C.D.B. (Le Culte des Bannis)

Diner sur la Maison flottante du Cneai, organisé par Arnaud Labelle-Rojoux autour de son projet Le Culte des Bannis mettant en scène des créateurs (artistes, écrivains, réalisateurs, cuisiniers, etc.) ayant acquis une reconnaissance particulière dans un milieu qui n’appartient pas à leur domaine d’expertise. INVITÉS : Patricia Brignone, Sylvie Boulanger, Marc Nicolas, Olivier Cadiot, Laurent Niget, Patrice Blouin,
Joseph Marzolla et Peeping Tom. RESTITUTION : Arnaud Labelle-Rojoux, Patricia Brignone et Laurent Niget.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De Peeping Tom à la colocation, la percolation à l’ouvrage par Laurent Niget Laurent Niget, architecte, nous présente sa réponse à l’appel à projet Réinventer Paris, lancé par la Mairie de Paris à l’automne 2014. Ce projet de logements en colocation fait écho à la méthodologie de Peeping Tom et dresse indirectement un portrait sociologique de la capitale. Ce texte de Laurent Niget publié dans la revue Peeping Tom’s Digest #4: Paris au sein du groupe de travail L.C.D.B. (Le Culte Des Bannis) initié par Arnaud Labelle-Rojoux, est ici présenté dans sa version intégrale et présente une explication détaillée
du projet Nos Futurs
.

French only.
Le diner flottant par

Arnaud Labelle-Rojoux



------------------ (EXTRAIT) ------------------ pour lire la suite, achetez la revue : Shop

« Je ne suis qu’un appareil d’enregistrement… »
William Burroughs

« Je voudrais être une machine et je sens que quoi que je fasse comme une machine,
c’est exactement ce que je veux faire. »

Andy Warhol

Un diner. C’était un diner. Un vrai diner. Mais une sorte de diner de conspirateurs. Enfin, je dis conspirateurs : conspirateurs de romans-feuilletons s’entend, genre Mystères de Paris, genre Alexandre Dumas (j’aime beaucoup Alexandre Dumas, jamais démodé), pas des terroristes préparant un mauvais coup. Un truc façon société secrète un peu bidon. Vision romantique du conspirateur, voilà ! Petit groupe d’amis, ou pas encore amis, réunis, pour diner donc, et converser dans un endroit retiré, insolite. Louche ? Singulier plutôt. Son prétexte ? Un prétexte-titre plutôt qu’un thème. Comme un titre de roman populaire justement. Ou de film de série B. Ou d’enseigne. Le Culte des Bannis. Chacun des futurs convives avait reçu par mail, pareil à un billet secret, le texte suivant, tel qu’il figure sur la page Facebook  « LCDB (Le Culte des Bannis) » :

« Il est des artistes et des œuvres jouissant d’un capital d’admiration tel qu’on les qualifie de « culte » […] Il est, parmi les artistes que l’on définira aisément comme « culte », des créateurs de tout poil cooptés
par d’autres d’un domaine extérieur au leur : « cinéastes pour artistes » (CPA), « musiciens pour architectes » (MPA), « Artistes pour écrivains » (APE), etc. On ne peut que s’interroger sur ce qui
les unit et simultanément les marginalise, voire les délégitime en tant qu’auteurs. Ce qui fait d’eux
des bannis en somme… »

Ce texte était dûment complété par une invitation en règle, dans laquelle étaient indiqués la date et le lieu de ce diner (le mardi 3 mars 2015, sur la Maison flottante du Cneai1, amarrée sur l’Île des Impressionnistes, à Chatou), et son contexte (la sollicitation par la revue Peeping Tom’s Digest, en résidence sur place, d’organiser « quelque chose » autour du Culte des Bannis). Tout était donc précis (mots clefs : « culte » et « bannis »), et, pour autant, aussi peu clair que possible. Olivier Cadiot (O.C.), l’un des futurs convives, avait du reste répondu à mon mail : « je ne suis pas sûr de (tout) bien comprendre de cette affaire de culte, mais justement j’ai envie d’en savoir plus long », terminé par un « banco » et une interrogation : « dress code » ? Aucun dress code, l’ami ! Colloque flou, idées indécises. J’avais d’ailleurs accompagné l’annonce de ce diner par une photo extraite de La Chinoise de Jean-Luc Godard qui me paraissait parfaitement résumer la situation :

Reprenons. C’était un diner. Un vrai diner. Où l’on mangea, et très bien, et où l’on but, bien sûr, et où l’on parla. Beaucoup. Ce qu’il s’y est dit ? Comment le restituer ? Mélange de sérieux et de flottements. C’est ça, de flottements. Apartés, réparties, raccourcis, digressions, circulation d’une parole non contenue, rires, phrases tronquées, en suspens. La mayonnaise qui prend, ou qui ne prend pas complètement. On zappe. L’aisance de certains, la retenue d’autres. L’exaltation lacunaire, la méditation à voix haute, une fausse joute oratoire avortée par l’apparition soudaine d’un plateau de fromages somptuaire fermant illico le clapet des parleurs.

Oui, comment restituer ce moment, long moment (trois heures ?), que chacun des convives a vécu différemment ? « Raconter, beau casse-tête ». Je ne sais plus qui disait ça, mais c’est ça ! Exactement ça. Un beau casse-tête. Pas simple, en effet, de raconter. Mission impossible, même. Sauf à accepter l’idée que toute reconstitution est partiale, et forcément partielle. Toute reconstitution, en quelque domaine que ce soit, tient de la réinvention. « Le monde est ma représentation » disait Schopenhauer. Partons de ce postulat : ce diner est ma représentation. Et ma réinvention. Enfin, quelque chose comme ça. Le récit qui suit, d’ailleurs très écourté (digest), n’est donc pas une transcription, même si j’aurais aimé ce soir-là n’être qu’un magnétophone. N’être qu’une machine. Mais peut-être, après tout, suis-je une machine. Ce qui est répliqué ne provient pas de bandes, lesquelles se sont révélées inaudibles. Bouillie sonore inexploitable. Enregistrement purement mental et assez déréglé. C’est finalement mieux comme ça. Ainsi naît le mythe. Approximations ? Tricherie ? Le faux est un moment du vrai.

La « Maison flottante » est une barge élégamment aménagée. Plancher à fleur d’eau : impression, en effet, de véritablement flotter. Deux grandes baies vitrées donnent…