Couverture de Hanter Belleville, un livre de Adrien Guillet & Camille Tsvetoukhine avec les contributions de Érik Bullot, Alexis Guillier, Patrice Joly et
Clémence de Montgolfier. Photographie :
Bertha Espinoza Leon.
Zéro2 Éditions (2015).
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Patrice Joly —

Le catalogue éclaté

— À défaut de produire un catalogue au moment de l’édition 2014 de la Biennale de Belleville, qui envisageait la marche comme une expérience urbaine artistique et esthétique, Patrice Joly, son directeur, propose d’en disperser le contenu dans le temps et l’espace à travers plusieurs publications. Il renoue ainsi avec le thème
de la déambulation et s’affranchit de la temporalité imposée par ce type de manifestation.
Patrice Joly présente ici la préface de ce catalogue.

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La troisième édition de la biennale de Belleville qui eut lieu de la mi-septembre à la fin octobre 2014 en divers lieux de l’est parisien et de la proche banlieue fut en grande partie motivée par le désir d’échapper à la déception que l’œuvre d’art suscite dans sa forme majoritaire de présentation et de livraison à un public indéterminé, à savoir sous la forme d’un objet d’art isolé. Il ne s’agissait pas de s’en prendre à ce dernier comme forme « moralement suspecte », car un objet ne saurait assumer une telle position d’emblée, sauf à le voir prisonnier de déterminations qui le réduisent à ses fonctions mondaine, petite bourgeoise ou encore tout simplement décorative, lorsqu’il est censé justement receler d’autres caractéristiques qui le tirent vers une lecture ou une appréhension déliée de ces facteurs incapacitants. Il nous a donc semblé que « l’objet d’art » — désigné de la sorte pour le différencier d’une production industrielle ou artisanale — tendait à focaliser sur son nom des tendances aussi contradictoires que compréhensibles, à l’heure de la relative démocratisation de l’art contemporain et de la multiplication des foires et des biennales. La plus remarquable de ces tendances est celle d’un tropisme « consumériste » qui rapproche de plus en plus l’objet d’art d’un banal produit de la grande distribution ne délivrant plus que des stimuli neuronaux sans grand danger auprès d’une frange de la population en constante augmentation, celle des collectionneurs, pour qui la possession d’œuvres s’apparente plus à une addiction bénigne qu’à une réelle démarche intellectuelle ou intentionnelle. Sans vouloir mettre dans le même panier tous les collectionneurs, il faut bien s’accorder sur le fait que la possession d’œuvres d’art s’accompagne souvent de motifs qui n’ont rien à voir avec l’artistique ou l’esthétique, encore moins avec une quelconque forme de militantisme.

Depuis quelques années, il nous a semblé que les biennales d’art contemporain les plus prestigieuses ressemblaient de plus en plus à des foires d’art contemporain et qu’inversement, le développement, à l’intérieur des foires d’art contemporain, de programmes curatoriaux tendait à rapprocher la forme foire de la forme biennale, les artistes présentés dans l’une se retrouvant miraculeusement présentés dans l’autre. Ce lent grignotage de l’espace not for profit par l’espace marchand