Vue de l’exposition
C’est aujourd’hui dimanche, tiens ma jolie maman voilà des roses blanches, toi qui les aimes tant ! de Jef Geys par Sylvie Boulanger et Francis Mary au Cneai =, février-juin 2014.
Ici, Qu’est-ce qu’on mange ce soir ?, émission télévisuelle consistant à filmer cinq familles des Yvelines pendant leur diner
et diffusée à la télévision locale aux heures
de repas.
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Sylvie Boulanger —

Quand
les regards convergent vers
l’art

On notera que le strabisme, ou plus couramment l’acte de « loucher » vient du grec strabismos et s’applique à un défaut de parallélisme. Le cerveau réagit en ignorant l’image fournie par l’un des deux yeux. Loucher correspond dans le langage courant au strabisme convergent, tandis que l’adjectif louche vient du latin luscus
qui signifie borgne et induit manque de clarté et méfiance.

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J’avais pour but dans cet article de parler des artistes qui, pour des raisons diverses avaient établi des dispositifs d’émancipation du milieu de l’art, au moins pendant une période de leur vie. Le sujet me paraissait réjouissant à première vue et je l’avoue, facile à traiter puisqu’il s’agissait de décrire finalement ce qui pour beaucoup sont considérées comme des anecdotes et non le fameux contenu du travail.
Les exemples d’artistes ayant développé ce type d’autonomie économique me venaient en tête sans effort. Je pensais immédiatement à Jef Geys et son bar de nuit, Hans-Peter Feldmann et ses boutiques de cadeaux, Ernest T et ses contrats de faussaire, Ben Kinmont, dealer de livres anciens de gastronomie, Yona Friedman, directeur de l’information à l’Unesco, NSK producteurs de label, d’une troupe de théâtre, d’éditions et créateurs d’une école, General Idea, éditeurs, fondateurs d’Art Metropole, etc.
Car enfin, les artistes créent-ils pour le milieu de l’art ?
Comme en ce moment, les raisons ne manquent pas de se détacher de la scène artistique, du moins de celle qui « matche » trop avec le marché, ce sujet servait ma cause et celle du Cneai puisque la plupart des artistes accueillis sur l’île de Chatou, avaient une disposition disons autonome vis à vis de l’institution que représente le paysage coordonné du milieu de l’art mondialisé, assimilable au marché du luxe.
Un mot sur ce paysage. Je ne suis pas en train de ressasser la sempiternelle opposition entre privé et public, malheureusement. Entre ceux qui sont excités par l’argent et ceux qui sont stimulés par l’expérience artistique, la frontière ne passe plus par cette distinction. On trouve en effet et sans trop chercher, autant d’institutions et de curateurs d’un côté comme de l’autre, autant de galeries ou de fondations, et presque autant d’artistes, sans parler des étudiants en art. Le fondateur et président d’Artprice, Thierry Ehrmann, est un artiste. Les curateurs les plus honnêtes avouent que le boulot consiste maintenant à trouver des galeries qui veulent financer l’exposition d’un artiste qu’elles choisissent elles-mêmes. On sait tout ça et comme le dit si bien Yann Moulier-Boutang, nous n’avons pas l’intention de renoncer à l’art comme exercice de vie même s’il est tombé sous l’emprise de l’histoire, même si nous souffrons tous de la maladie artistique comme si l’objet d’art était devenu une feuille Excel qui passe de bureau en bureau, de commissaire d’exposition en commissaire priseur... Juste un peu résistante à l’idée qu’il faudra à terme inventer un autre mot comme me le suggérait Hans-Peter Feldmann qui refuse dorénavant l’imagerie mentale associée au terme d’art et me proposait que nous établissions un manifeste pour en trouver un autre.
Même si l’intersection est peuplée, la coexistence de deux ensembles caractérisés par des comportements différents, signifierait-il qu’il y a deux milieux (au moins) dans l’art, un peu comme il y a deux centres dans une paire de lunette, un au milieu de chaque pupille. Le milieu de l’art est-il devenu binoculaire ? On revient par bonheur aux questions liées à la perception. Que perçoi(ven)t le(s) milieu(x) de l’art ? Il ne semble pas que l’image soit la même pour tous. Du moins, il ne me semble pas que je perçoive la même image que certains des amis évoluant dans le marché mondial. Je dois avouer que parmi les 100 artistes les plus cotés en ce moment, il y en a plusieurs dont je ne connais pas le nom, même dans les dix premiers d’ailleurs. Vous connaissez John Currin ou Mark Grotjahn? les deux sont peintres, les deux sont chez Gagosian. L’analyse de leur œuvre est avalée dans les rouages de la valorisation. Beaucoup d’artistes parmi les plus cotés ne m’intéressent pas et la réciproque est encore plus vraie. Je m’en suis rendu compte aux lueurs d’indifférence dans les yeux des collectionneurs et galeristes à qui je parlais de Claude Rutault en 1995, Hans-Peter Feldmann en 2000, de Yona Friedman en 2005, de John Giorno en 2010, sans parler des centaines d’artistes des générations suivantes tout aussi importants pour moi. Certains artistes comme Martin Kippenberger figurent néanmoins dans le top ten des ventes en Europe. Il est mort me direz vous, ce qui a laissé les mains libres aux créateurs de valeur. Mais il n’est pas répertorié dans les top lists américaine et chinoise. Ces deux pays représentent pourtant près de 70 % du marché mondial. La France, c’est environ 3 % quand le Royaume-Uni génère plus de 20 % du marché. Question de langage ?

Revenons au strabisme. Pour remédier