Barbara Manzetti.
Rester. Etranger / La famille
de Claudia et Gheorghe

© Bartolomeo Terrade.
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Barbara Manzetti —

Stylisation qui réduit
la description du visage

Sur une proposition de Mathilde Villeneuve,
codirectrice des Laboratoires d’Aubervilliers.

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Passé le périphérique je fais halte au PMU. Où s’entrechoquent les figures des hommes. Plus sporadiques les femmes animent les différends musicaux des genres réunis en huis clos. Tous sont des pirates maternés par l’affection suffisante de la gérante. Eduqués par les blagues salaces du patron. Cela leur suffit. Surtout le dimanche au cours d’après-midi interminables et vides. Lorsqu’emplis de fatigue. Et à les entendre. D’une insatisfaction qu’ils cumulent et capitalisent depuis des décennies. Depuis l’extérieur j’aperçois leurs têtes de vieux enfants. Les têtes chauves décapitées par l’encadrement de la vitrine. A deux pas de là une file dépasse de la boulangerie. Boyau rappelant le corps discontinu de la banlieue. Qu’ici est banlieue de la banlieue constituée de lots identiques. Discontinuité aussi du ciel sous le tressage de câbles électriques. Si je pousse la porte la peau de mon visage se colle aux autres peaux lustrées par l’usage. J’admire les postures harmoniques. Les manches retroussées. Les regards biaisés. Les sourires. Et les mains qui s’affairent. Réorganisent l’échiquier de tables. J’admire les pupilles noires saillantes. D’autres regards opaques. Et la corpulence mythique des migrants regroupés. Rescapés des naufrages que l’on sait. Assurés à présent aux écrans. Leurs vestes paraissent toutes délavées. Tellement leurs visages rayonnent. De beauté. Ou simplement de l’habitude qu’ils ont adoptée à cette survivance. Dehors ce qui devait être campagne. Ou précipitation de la capitale hors de ses gonds. Reste obturé sous l’asphalte décrépit. Comme l’histoire méconnue jamais rédigée des cités exemplaires. Cités de ceux et de celles dont j’aperçois les avant-bras s’échapper des stores en plastique. Qui les referment à mon passage pour préserver l’intimité des rez-de-chaussée. Mon récit est ponctué par les portails en fer des pavillons. Aménagés en châteaux avec les jardins à l’italienne. Soutenus métaphoriquement par des colonnes de plâtre. Commentés par les statues et les agencements floraux aux arrosoirs automatiques. Phrases isolées de leur paragraphe. Ailleurs la ponctuation est tenue par la récurrence des arrêts de bus. Récits inachevés parsemés le long des distances incongrues. Où les visages expressifs à la renverse. Les paupières de la sieste en sursis. Où la grâce des mains encore tenues à la anse des cabas. Où les jambes lasses des femmes assises. Transportent le monde et les denrées. Il y en a parmi ces femmes des plus âgées. Elles sentent le corps. On ne sait plus ce que ça sent un corps. Des corps de femmes. Nos mères humbles qui ne se reposent jamais. Sinon fragmentairement. Sur des kilomètres de désert où elles acheminent le pain. Le moins cher de tous. Les baguettes coupées. Enfilées dans les sacs perpendiculaires aux filets de patates. Qu’elles maintiennent avec les mollets